Bonjour,
Nous avons reçu, mon ami Ssîn l'Obscur et moi-même, cet ancien écrit d’un vieil homme au style singulier.
Derrière son récit aussi agressif que poignant, il laisse entrevoir une description du monde de son temps et ce qui pourrait être la genèse des races …
« Le monde ne serait pas celui que l’on croit ? »
La traduction de ce vieux dialecte est complexe et fastidieux ; ainsi nous vous offrons cette lettre sous la forme d’une chronique …
Bonne lecture !
¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤
CHAPITRE I… Vient un temps où les secrets se lassent d’exister …
… Vient un temps où les ombres d’hier s’évaporent …
… Vient un temps où l’espoir renaît, tel un trésor …
… Vient un temps où les douleurs cessent de résister …
A l’heure à laquelle ces vers jaillissent de ma plume, ma quête, si désirées, n’a pu être définitivement achevée …
Ainsi, le vieil homme que je suis se retire de ce monde, ne possédant rien d’autre qu’un morceau de papyrus et un peu d’encre pour conter mon histoire.… Il y a de cela des années, bien avant que le monde soit tel qu’il est, je vivais paisiblement avec ma petite famille dans une campagne très isolée :
Ciela, ma compagne, ravissante et sublime ; les yeux d’une beauté rare dont l’éclat encore m’éblouit aujourd’hui ...
Océan, notre premier et unique enfant, qui force m’est de le reconnaître était … étrange. En effet, il avait en lui un pouvoir surprenant.
Outre son physique intriguant qui lui offrait des capacités quasi-inhumaines au combat, il avait des hallucinations. Ses crises lui provoquaient, à voir son visage, des douleurs innommables que lui-même ne parvenait à contrôler.
Ciela avait connu cela durant son enfance, mais jamais avec autant d’intensité. Ainsi impuissants à aider notre fils, nous le soutenions comme nous le pouvions, mais en vain. Ma femme s’efforçait de le garder caché sur nos terres, loin de tout, loin du monde ... Etrangement, elle ne voulait pas que les gens du terroir l’aperçoivent …
Un soir alors que nous rentrions, mon garçon et moi, d’une chasse encore étonnamment fructueuse, nous trouvâmes la porte du jardin défoncée … Prudents mais inquiets, nous avancions vers notre logis : Océan, l’arc tendu, et moi, ma bonne vieille hache.
Trop tard ! Meubles brûlés, biens pillés … il ne restait rien … plus rien … plus rien ? … :
- « Ciela ? »
- « Maman ? » … aucun souffle, pas le moindre frottement … rien …
Dans la chambre, allongé, un corps … son corps, sans vie, glaçait le sol … son sang glissait et dansait sur ses membres blessés et meurtris … Anéantis … La terre parvenait à peine à éponger les larmes de notre fils ; quant à moi, appuyé contre le solide mur en pierre, je restais effondré, prostré et totalement incapable de parler ni bouger … des larmes …
Etaient-ce de vulgaires voleurs ou autre chose encore ? … Que venaient-ils chercher en ces lieux ? Pourquoi avoir assassiné une mère sans défenses ?
Tant de questions, d’incompréhension … de douleurs …
Nous enterrâmes Ciela sous un vieux chêne, comme elle l’aurait souhaité… et pendant que nous récitions son psaume préféré, j’aperçu comme une inscription au charbon sur le mur arrière de notre bâtisse. Intrigué, je pensais trouver ainsi un indice … Mais j’étais loin du compte.
On pouvait y lire :
« Écorchés, vos luttes sont vaines ! »
Qui étaient ces Écorchés? En quoi cela nous concernait-il ?
Pris d’une frénésie incontrôlable, je retournais la maison de fond en comble pendant qu’Océan continuait à pleurer sa mère.
Soudain, j’aperçus, plongé dans la baignoire, dissimilé sous une eau trouble de saletés, un petit coffret que ma tendre Ciela avait dû ingénieusement cacher à ses assassins juste avant qu’ils la saignent.
Aux gravures qui ornaient ce singulier objet, je pouvais facilement conclure qu’il avait été l’œuvre d’un artisan sans renom, mais dont il semblait émaner une certaine aura. Je l’ouvris fébrilement et j’y trouvais un talisman puis un mot qui disait :
« Garde ce talisman précieusement mon amour, il s’agit d’un des sept sceaux des Portes Démangiennes »
Ainsi, Ciela menait une double vie qu’elle éludait soigneusement à nous, sa famille! Dans cette vie, elle appartenait apparemment à un clan appelé « Les Écorchés ». Elle devait, d’ailleurs, être haut placée dans sa hiérarchie pour posséder un si précieux bien.
A nouveau sans voix, je pris, avec mon fils, la décision de chercher ce clan ou ce peuple, je ne sais, et d’y être enrôlés ... en mémoire de notre amour, ainsi que du combat qu’elle semblait mener : une femme si sensible et si juste ne pouvait se battre que pour une noble cause !
CHAPITRE II Ainsi, après de longues semaines de recherches soutenues, nous trouvâmes en contrées oubliées un clan qui se faisait appeler:
«
L'Ordre des Écorchés».
Intégrer cette faction n’a pas était bien difficile. En effet, ses membres, qui n’étaient ni bavards ni très accueillants, paraissaient cependant intrigués et, en même temps, très heureux à la vue de mon fils.
Notre quête était enfin accomplie … ou tout du moins le pensais-je …
Aucune explication ne nous a été donnée, aucun renseignement … comme si ces gens étaient muets et sourds ! Ils ne communiquaient que très peu mais avec grâce et intelligence ; les rares mots qui émanaient de leur bouche nous étaient d’ailleurs incompréhensibles.
Nous passâmes de longs mois à vivre ainsi … un peu perdus, mais heureux …
Soudain, au milieu d’une nuit de pleine lune, une femme du clan vînt nous réveiller et nous ordonna de sortir promptement de notre demeure, les armes aux poings!
- « C’est cette nuit ! L’assaut sanglant ! Venez vite ! » Un assaut ? Mais contre qui ?
Tous les Ecorchés étaient là dehors, les yeux pleins de haine, mais très calmes dans leur geste, aucune agressivité …
Tous parés pour une lutte sans merci ! Nous suivions alors le groupe qui se mit à courir sans qu’aucun signal ne fut donné.
Une dizaine de kilomètres plus loin, il s’arrêta, net, devant un grand camp appartenant à nos fidèles Gardiens … des êtres splendides de beauté et de force, envoyé par le ciel pour nous protéger, nous, simples humains, contre une horde d’ennemis assassins et barbares, assoiffés de sangs, jaillissant des entrailles de la Terre … mais personne n’avait pu voir ces « ennemis », nos Gardiens empêchaient quiconque voulait assouvir sa curiosité!
- « Mais … mais !! Nous allons nous battre contre … »- « Chut ! » m’ordonna le chef !
« Ils ne sont pas ceux que tu crois ! Le monde n’est pas ce qu’il est ! », finissait-il avant de se lancer avec la troupe, subrepticement, glissant entre les feuillages …
Que voulait-il dire ? Mais pourquoi Ciela connaissait ces gens là ? Pourquoi se battait-elle à leur côté ? Tant de questions ! L’incompréhension nous paralysait, Océan et moi !
Nous regardâmes, alors, agir le clan, qui sans la moindre pitié et avec une méthode et un sans froid implacable égorgeait, un par un, nos gardiens dans leur bâtisse …
Le combat devint rapidement illisible.
Des cris, d’abord.
Puis, un amas de chairs et de membres en mouvements.
Violence.
Formes indiscernables.
Des lames, des gestes assassins, des flammes …
Un coup, une mort ou une fuite …
Encore … et encore ! …
Soudain ! Au milieu … Ciela ! Un visage, le sien ; une silhouette, la sienne et des yeux … ses yeux !
Elle nous regarde, elle sourit ... elle disparaît !
Alors, Océan se mit à courir, écrasant, balayant tout sur son passage avec une force et une puissance qui fit frémir la foule … je le suivit !
On s’arrêta :
-
« C’est Alice, simple Gardienne venue du ciel, comme les autres ! Là depuis peu de temps !» me souffla notre chef, avec une certaine ironie …
« Maintenant, il faut partir ! Venez ! ». Elle n’était donc pas notre Ciela, celle qu’on a connue, celle qu’on a aimé, celle qu’on a chérie !
Elle n’était plus humaine !
………
Ma lame scintillait dans ma main, elle écorchait ma paume … aussi froide que l’était le corps de Ciela. La chaleur de la dague s’infiltrait en moi comme un poison, une drogue, me murmurant des intensions indicibles …
Partagé entre l’envie instinctive de l’assassiner et le désir obscur de me supprimer, je choisis la lâcheté. La lame s’échappa insidieusement entre mes doigts pour venir se figer sans bruit dans les lourdes lattes sombres du plancher.
Je suivis Océan et notre clan presque au complet.
Des mots … des mots qui ne m’appartenait pas se fracassaient dans ma tête.
Comme une catharsis, je les libérais, crachant ces vers dans le vent de ma course :
Un pas de plus vers d’oniriques profondeurs
Résolu, inaltérable ... inéluctable.
Un Adieu, le dernier chapitre d’une fable,
D’une légende dont l’origine se meurt.
L’illusion tragique des obscurs lendemains
Me hante, m’asphyxie, me protège et m’apaise.
Mon tombeau à demi ouvert respire à peine,
Comme les yeux d’un enfant cherchant le sommeil …
Les Astres se sont éclipsés depuis longtemps,
Et seul tremblait encore l’éclat sombre de tes larmes.
Les couleurs s’estompent et se noient dans cet océan
Là où la nuit et le vent, tendrement s’endorment …
...Le néant …
CHAPITRE III C’est mon fils qui me réveilla, s’inquiétant de m’entendre psalmodier une ode qu’il ne saisissait pas…
- « Tu as vu ses yeux aussi ! Je veux la retrouver !»
- « Pauvre fou ! »
- « Père, ta tristesse t’égard. Reprend espoir ! »
- « A quoi bon ? Pour courir toujours plus bas, vers une ultime déchirure ? »
- « Non, je pense qu’il existe une issue. J’ai eu une vision intemporelle dans laquelle je nous voyais de nouveau réuni ! »
- « Parce qu’on se soucie de tes … hallucinations maintenant ? »
- « Père, je … »
- « Va-t-en, je veux rester seul ! » Les larmes au bord des yeux, mais semblant surmonter le coup, il quitta les lieux avec une certaine prestance que je ne lui connaissais pas. A vrai dire que connais-je vraiment de lui ? … Il ressemblait de plus en plus à sa mère, comme si mon passé tenait à me torturer …
... Oublier …
... Revivre …
Mais si le temps nous traversent pour s’échapper avec ses sombres décors, nos tristes souvenirs restent et s’agrippent …
Un matin, en rangeant calmement nos affaires avant de partir pour une nouvelle bataille, je remis bien involontairement la main sur ce coffret, sur ce talisman, et mes yeux s’arrêtèrent sur l’écriture de ma tendre et regrettée Ciela …
Un flash ! … Des images qui chancellent ! …
C’est alors que je saisis qu’il fallait affronter les choses et les évènements, plutôt que de les ensevelir.
Comprendre enfin ! Et tout braver dans cet unique but !
Cette fois-ci, les autres ne nous ont pas attendu ! Courant, cherchant du regard … rien !
Nous sommes perdus !
Soudain ! Un grondement ! …
Puis un souffle violent écrase les arbres devant nous, faisant frémir le feuillage et trembler le sol !
Un être … un être étrange ! Fort et majestueux !
La peur et l’angoisse coulent telles un torrent dans mes veines … froid, je suis paralysé !
Il s’approche d’Océan, lui verse quelques mots dans l’oreille, un dialecte curieux que mon fils semblait naturellement comprendre.
Ils partirent !
Je ne sais combien de temps je suis resté allongé là, sans connaissance, les membres enfoncés dans le sable brun de cette curieuse forêt. Ainsi, le destin voulait que je perde aussi mon enfant !
Mes larmes n’effaçaient pas les nombreuses questions qui percutaient mon crâne !
« Qui était cette créature ? »
« D’où venait cette force qui m’a foudroyé ? »
« Pourquoi Océan l’a suivit, sans même un signe de la main comme un ‘
A bientôt, Papa’! »
« Comment pouvaient-ils se comprendre ?»
« Serait-il l’un d’entre eux ? »
« Comment ? Pourquoi ? »
Tout ce que j’avais connu jusqu’à présent, toutes ces joies mélangées à ces blessures s’émiettaient, se liquéfiaient pour fondre dans ma bouche, n’y laissant qu’un mauvais goût amer.
Seul, avec ma tristesse … avec mon esprit …
Mes souvenirs me laissent, seul, avec sa folie …
Perdu, je n’ai pas pu estimer le temps que j’ai mis pour rejoindre camps des Ecorchés … la soif arrachait ma gorge, la faim grondait dans mes entrailles, la fatigue tiraillait mes paupières, sale et tremblotant, on s’occupa de moi.